I. Définitions, langage et communication.
1. Eléments de contexte historique.
Inutile de revenir sur les raisons pour lesquelles la science s’est peu à peu détachée du dogmatisme qui la caractérisait, et dont le positivisme du XIXe siècle est emblématique, pour s’ouvrir progressivement à la délibération et à la discussion. Ces raisons sont bien connues et il n’y a pas lieu de s’y attarder. Disons, en quelques mots et à très gros traits, que l’idée s’est progressivement imposée au cours du XXe siècle que la science était exposée à l’incertitude, qu’elle n’évoluait pas en marge de la société, que les choix de programmation scientifique engageaient la question du bien vivre collectif.
L’idée s’est également imposée que les sciences étaient intimement intriquées aux techniques. L’idée de technoscience s’est imposée de plus en plus – et ce faisant, l’idée qu’il n’y avait pas de science pur ni d’esprit pur pour les développer et les accueillir – ce pourquoi il y a nécessité à mettre la science en débat.
Aussi, l’intérêt que l’on porte aujourd’hui au débat public, dont on met en avant les vertus émancipatrices, est-il avant tout le symptôme d’un attachement pour les valeurs de la démocratie, régime qui consiste non pas à gommer, mais à donner une visibilité au conflit et à trouver des procédures destinées à les arbitrer.
2. Le débat, ce n’est ni la controverse, ni la polémique.
Qu’est-ce qu’un débat ? Mieux, qu’est-ce qu’il n’est pas ? Lors de notre dernière université d’été, consacrée à la controverse, le philosophe Heinz Wismann a proposé une distinction particulièrement éclairante entre polémique, débat et controverse. Selon lui, le débat se distingue, comme la controverse, de la polémique ou de l’altercation, qui tendent à disqualifier le sujet qui discute. Mais il n’est pas la controverse, centrée sur l’objet alors que le débat appelle la reconnaissance d’un sujet qualifié avec lequel on discute. La controverse, qui peut employer les armes de la polémique ou du débat, s’installe lorsqu’il y a affrontement sur les prédicats de l’objet en débat. Elle porte toujours sur un objet dont on suppose l’identité, mais qui donne lieu à l’attribution de prédicats incompatibles.
Un débat, par contre, suppose, comme la polémique, un sujet, mais contrairement à celle-ci, un sujet qualifié et reconnu pour discuter. Une telle caractéristique en fait pour Jean-Michel Besnier, autre philosophe présent à nos travaux, l’instrument le plus approprié pour la constitution d’un sens commun, du moins de son éducation, le philosophe soulignant qu’on attend d’un débat qu’il forme l’opinion, facilite le décentrement des points de vue et expérimente la démarche d’universalisation sans laquelle il n’y a ni morale, ni politique.
3. Langage scientifique et langue naturelle
Cela dit, un débat public ne s’improvise pas. C’est un dispositif, un processus de discussion qui doit être organisé et qui appelle à partager la science. Partager la science, cela signifie partager des langages. Cette idée a bien été mise en lumière lors de l’université européenne d’été de 2011 sur le thème de l’illettrisme scientifique, notion apparue dans le débat américain à partir des années 1980 et présentée comme un danger social et politique guettant les Etats dont le développement repose sur les sciences et la technologie. Langages spécialisés des sciences, langage naturel : il n’y a plus une culture scientifique, mais des cultures éclatées, rendant impératif un effort de traduction. Etienne Klein vous en parlera certainement. L’école a un rôle fondamental dans cet apprentissage qu’il faut conforter. Mais il ne faut pas négliger aussi la traduction des savoirs, leur mise en récit, la vulgarisation scientifique, la mise en culture de la science qui sont des activités essentielles et qui tendent à sortir les sciences de leur domaine propre.
4. Les contraintes de la communication
On comprend aussi pourquoi la médiation par la presse joue un rôle majeur – Michel Alberganti ne manquera pas d’y revenir. Politisation des discours scientifiques et défiance du public place en effet régulièrement le journaliste dans une position particulièrement délicate. Les intérêts économiques de la presse ne sont pas absents de ces difficultés. Internet modifie en profondeur la profession. La démarche journalistique est investigatrice. Sa temporalité s’affronte à celle de la démarche scientifique. Renforcer les passerelles est indispensable pour valoriser ces « passeurs » de science.